L'organisation membre d'Interaction partage son expérience dans le domaine de la localisation de la coopération internationale.
En 2023, Morija a participé, avec trois autres membres d’Interaction, à une démarche réflexive sur ses pratiques partenariales, par un accompagnement centré sur les enjeux de localisation et de décolonisation de l’aide. Cet exercice a permis de mettre en lumière à la fois les avancées, les tensions et les dilemmes qui traversent nos approches.
Les partenaires locaux de Morija sont souvent des ONG ou des Églises de petite taille, profondément enracinées dans les réalités communautaires. Autant que possible, l‘organisation privilégie des relations de long terme, basées sur la connaissance mutuelle. Les initiatives, méthodologies et équipes sont proposées depuis le terrain, dans un dialogue continu. Pour renforcer cette dynamique, Morija a récemment élaboré une nouvelle grille d’analyse pour la sélection des nouveaux partenaires, qui aide également à mieux définir les besoins d’accompagnement des partenaires existants.
Morija finance une grande partie des coûts des projets soutenus et parfois même l’organisation lorsque celles-ci n’ont pas d’autres sources de financement. Cette dépendance interroge car elle constitue un risque pour la pérennité du projet – et donc parfois le partenaire local qui le met en œuvre. L’équilibre entre solidarité, autonomie et dépendance est ténu mais le cap est toujours le même à savoir la volonté d’accompagner et créer les conditions d’une autonomie locale.
D’autres exemples nous réjouissent néanmoins : en 2024, le Centre Médico-Chirurgical (CMC) de Kaya, au Burkina Faso, est parvenu à s’autofinancer à hauteur de 60% environ !
L’une des particularités de Morija est de ne pas employer d’expatrié·es dans ses projets depuis plus de 15 ans. L’ensemble des équipes opérationnelles – coordinateur·ices, formateur·ices, soignant·es, comptables – sont recrutées localement. Ce renforcement des capacités locales permet d’éviter certains déséquilibres de pouvoir et de valoriser l’expertise nationale.
Mais cela ne signifie pas un retrait. Le partenariat reste actif, nourri par des visites régulières, des échanges techniques et un dialogue stratégique. Le CMC de Kaya en est un exemple vivant : les décisions médicales, la logistique et le suivi des patient·es sont entièrement pilotés par une équipe burkinabè, appuyée par des formations continues.
Si la localisation est aujourd’hui largement encouragée, sa mise en œuvre concrète révèle des paradoxes. Cette dynamique visant à renforcer les acteurs locaux est parfois initialement vécue par ces derniers comme une forme de précarisation, voire une perte de statut : travailler pour une ONG internationale reste souvent un symbole de prestige et de stabilité. Les motivations occidentales derrière cette dynamique – éthiques, politiques ou stratégiques – ne sont pas toujours partagées ou comprises sur place.
La localisation entre parfois en tension avec les exigences des bailleurs. Pour obtenir des fonds, il faut souvent s’aligner sur des logiques normatives ou des formats standardisés, qui ne reflètent pas toujours les réalités locales. Chez Morija, cette tension se manifeste dans des partenariats de longue date, parfois perçus comme lents à évoluer, alors même qu’ils sont le fruit de choix délibérés, de tâtonnements, d’ajustements dans une volonté réelle de transformation. Il est important de faire confiance aux communautés, qui sont les mieux placées pour exprimer leurs besoins.
Nous croyons à la valeur du partenariat local – sans l’idéaliser. Le partenariat ne va pas de soi. Il se construit dans la durée, avec rigueur, confiance et humilité. En partageant notre expérience, nous espérons nourrir la réflexion collective vers une coopération plus juste, plus respectueuse et mieux ancrée dans les réalités des acteurs locaux.
Photo: Lucie, 13 ans, en salle de réanimation après une opération du tibia, CMC Kaya, Burkina Faso, © Chantal Dervey/Morija.
Cet article a été rédigé par Morija. Il est paru dans le rapport annuel 2024 d’Interaction.
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