"Nous devons combiner l'aide aux victimes à une action ciblant les causes profondes de l'injustice"

Lorsque les lois ne protègent pas suffisamment les victimes, voire les excluent de ce droit, nous parlons alors d’injustice structurelle. Quelles sont ses causes et ses conséquences ? Michael Mutzner, représentant de l’Alliance évangélique mondiale auprès de l’ONU, répond à nos questions.

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27 septembre 2022
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Politique

Qu’est-ce que l’injustice structurelle ?

On peut parler d’injustice structurelle dans un pays où l’État use indûment de son pouvoir pour favoriser un ou plusieurs groupes tandis que les autres sont marginalisés, où les lois ne protègent pas les victimes, et où l’impunité règne en raison de la faillite de l’État de droit. Dans ce cas, il y a un problème d’ordre systémique et les institutions étatiques n’assurent pas leur rôle de garant des droits humains. Par conséquent, la population ne bénéficie pas des opportunités lui permettant de développer son potentiel et de vivre dans un environnement favorable. Analyser l’injustice sous cet angle est important. En effet, face à l’injustice structurelle, aider les victimes à s’en sortir est nécessaire mais insuffisant. Il faut combiner l’aide directe aux victimes avec une action sur les causes profondes et structurelles de l’injustice, pour la combattre à la racine. Autrement dit: l’aide humanitaire et le plaidoyer pour des institutions politiques justes doivent être menés de front. Les ODD s’inscrivent également dans cet effort d’apporter une réponse à l’injustice structurelle et l’ODD16 (promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques) est celui qui répond à cette préoccupation de la manière la plus évidente.

Un exemple d’injustice structurelle qui induit à davantage de pauvreté ?

En Inde, les Dalits bénéficient d’une protection spéciale et de mesures de discrimination positive pour les aider à surmonter les effets de siècles de marginalisation et d’oppression. Cependant, les Dalits qui sont devenus chrétiens ou musulmans sont exclus de ces programmes d’action positive. C’est la double peine pour ces populations pauvres. L’Alliance évangélique mondiale plaide pour que le gouvernement indien intègre les Dalits chrétiens et musulmans dans ces mesures. C’est un exemple d’injustice structurelle contre laquelle se lèvent les organisations de défense des droits humains.

Les Etats sont-ils les seuls responsables d’injustices structurelles ou des organismes supranationaux portent aussi cette responsabilité ?

Nous vivons dans un système westphalien où les Etats sont responsables de prévoir et mettre en œuvre un cadre assurant une justice structurelle. Au final, les actions et les acteurs de violations des droits humains sont toujours situés sur un territoire donné, sous la responsabilité d’un Etat qui y exerce son autorité. Toutefois, les groupes armés et les multinationales sont d’autres acteurs internationaux dont l’action nécessite une attention particulière.

Les citoyens peuvent-ils aussi jouer un rôle contre l’injustice structurelle ?

Tous les acteurs exerçant une influence sur les institutions politiques et les décisions étatiques ont leur part de responsabilité. Par exemple, en Suisse, l’initiative pour des multinationales responsables aurait été une occasion de faire progresser la justice structurelle, en demandant à des acteurs basés en Suisse et ayant une responsabilité dans des violations de droits humains à l’étranger, d’être prêts à rendre des comptes devant la justice suisse. Ce sont les citoyens – mais aussi les divers groupes d’intérêts qui ont participé à la campagne – qui ont eu le dernier mot.

Au niveau international, de quelles injustices qualifiées de structurelles sont victimes les chrétiens ?

Dans certains pays, les minorités chrétiennes, en particulier les chrétiens convertis (nés dans le courant majoritaire mais ayant choisi de le quitter) se voient refuser toute existence légale. Ces communautés religieuses sont forcées de se réunir de manière totalement souterraine et vivent dans un danger permanent. C’est notamment le cas en Afghanistan. Dans d’autres pays, l’Etat les maintient dans une zone grise au niveau légal. Les chrétiens restent vulnérables et tributaires du bon vouloir des autorités en place. A Cuba par exemple, les évangéliques ont voulu former une association faîtière en créant l’Alliance des Eglises évangéliques à Cuba. Mais le gouvernement a refusé de reconnaître cette entité et a mis la pression sur ses leaders, en leur imposant une interdiction de sortie du territoire.

Comment l’Alliance évangélique mondiale (AEM) et les ONGs chrétiennes peuvent-elles travailler à plus de justice et d’égalité dans le monde ?

Nous pouvons encourager et renforcer les organisations de la société civile qui œuvrent à plus de justice structurelle dans leur pays. Dans de nombreuses nations, les Eglises sont une forte composante de la société civile. Par leur engagement social, elles ont une crédibilité sur ces thématiques, et jouent un rôle prophétique en interpellant les autorités sur les injustices. Il est important de renforcer les acteurs de la société civile dans ce rôle. En tant qu’AEM, nous cherchons à soutenir les institutions nationales représentatives des évangéliques, notamment en relayant leurs préoccupations auprès des mécanismes de droits de l’Homme à l’ONU.

Localement, comment déceler si certaines structures de nos Eglises ou de nos organisations chrétiennes génèrent indirectement de l’injustice ?

En tant que chrétiens, nous savons que nous pouvons nous-mêmes commettre des injustices. Et cela doit nous rendre humbles dans notre manière de dénoncer l’injustice chez les autres ou au niveau structurel, sans arrogance, mais avec patience et un esprit de prière et de foi. Cette réalité doit aussi nous donner le courage d’ouvrir les yeux sur nos propres cultures ou pratiques non-conformes à la dignité conférée par Dieu à chaque être humain, créé à son image.

 

Propos recueillis par Sandrine Roulet

 

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Cet article a été publié dans le magazine annuel StopPauvreté ‘S’engager pour un monde plus juste’

 

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